LETTRE PASTORALE
À L’OCCASIAN DE LA FÊTE DE LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR 2024
† IOAN CASIAN
par la miséricorde de Dieu
Évêque du Diocèse Orthodoxe Roumain du Canada
Au Clergé bien-aimé et aux fidèles orthodoxes,
paix et joie du Christ Seigneur,
et de nous la sainte bénédiction.
« Le Fils est l'image du Dieu invisible, le premier-né de toute la création.
Il existe avant toutes choses et tout subsiste en Lui.
En effet, Dieu a voulu que toute Sa plénitude habite en Lui. »
(Colossiens 1; 15, 17, 19)
Révérends Pères,
Bien-aimés fidèles,
La célébration de la Nativité de notre Seigneur Jésus-Christ est joie et bénédiction. C'est le moment où nous, les humains, contemplons l'œuvre merveilleuse de Dieu faite pour nous et pour notre salut. Elle nous révèle le fondement de la foi chrétienne et le début de notre renouveau. Elle nous montre l'amour et la générosité de Dieu pour nous.
St. Jean Chrysostome s'exclame dans l'une de ses homélies à propos de cette célébration : « Venez, célébrons ! Venez faire la fête ! Étrange est l’image de la célébration, car glorifiée est la parole de Nativité. Aujourd'hui, le vieux lien est dénoué, le diable est couvert de honte, les démons s'enfuient, la mort est écrasée, le ciel est ouvert, la malédiction est abolie, le péché est banni, la tromperie est chassée, la vérité est venue, la foi se répand et s'élargit partout. La vie de ceux d'en haut sur terre a été établie, les anges et les hommes vivent ensemble, les hommes et les anges parlent sans crainte. »[1] C’est ainsi qu’il faut comprendre les fruits que ce grand événement de la vie chrétienne nous a apporté et nous apportera jusqu’à la fin des temps.
L'Incarnation du Seigneur est l'événement qui reconnecte le ciel et la terre; l'incarnation du Christ lève l'obstacle séculaire que le diable a dressé contre le genre humain; elle abolit la malédiction et la tromperie en faisant surgir la vérité; à travers l'incarnation, la foi se propage et les anges et les hommes communiquent et coexistent, le monde céleste et terrestre se rencontrent. Tout est rétabli dans l'harmonie et la communion comme le fut dans la pensée de Dieu depuis toute éternité concernant l'ordre bon et divin de notre monde selon la Sainte Écriture: « Dieu regarda tout ce qu'il avait fait, et il constata que c'était très bon » (Genèse 1, 31).
Pourquoi l’incarnation du Seigneur Jésus-Christ était-elle nécessaire pour notre rédemption et notre salut ?
St. Grégoire Palamas répond à cette question de la manière suivante : « Le Verbe et Fils de Dieu d'avant les siècles, Celui qui est infini et Tout-Puissant, the Creator, pourrait bien sûr et sans son incarnation délivrer l'homme de la mort et de l'esclavage du diable. Parce qu’Il porte et soutient tout avec la Parole de Sa puissance et que tout est soumis à Sa puissance divine et Il peut tout accomplir. ... Mais la chose la plus adaptée à notre nature et à notre faiblesse, et qui convenait à à Celui qui le ferait le mieux, c'était l'incarnation de la Parole de Dieu. Cela aussi était conforme à la justice, car Dieu ne fait rien d'injuste. »[2] L'homme tombe dans le péché, la mort et l'esclavage du diable. Dieu pouvait restaurer la race humaine par sa toute-puissance seule. Cependant, Il a choisi la manière de procéder en tenant compte de la manière la plus appropriée et la plus utile à l'homme. La chute de l’homme n’était pas un obstacle insurmontable pour Dieu. Le choix du chemin devait être fait en fonction de la gravité et de la profondeur de la chute, de l'état actuel de l'homme, mais aussi dans le respect du grand don que Dieu a accordé à l'homme au commencement - la liberté de choisir.
Dieu connaissait la faiblesse de l'homme dès le début, mais Il a aussi prévu la manière dont, en cas de chute, se ferait sa restauration. Cela aidera l’homme à reconnaître Dieu comme son Créateur et Protecteur : « Dieu, Celui qui tout puissant, - dit St. Grégoire Palamas - lorsqu'Il a créé la race humaine à travers sa Parole, Il a également vu la faiblesse de sa nature; Il a vu qu'il ne serait pas capable de connaître le Créateur par lui-même, ni d'acquérir Son entendement, puisqu'Il n'est pas fait, et que les créatures sont faites, et qu'Il est incorporel, et que les hommes sont faits avec des corps; et que partout il y a un grand manque de puissance des choses faites, pour l'intelligence et la connaissance de Celui qui les a faites. ... Dieu, étant bon, les rend participants à l'image de notre Seigneur Jésus-Christ et les construit selon Son image et Sa ressemblance, de sorte que, par une telle grâce, connaissant l'image, c'est-à-dire la Parole du Père, ils puissent acquérir par Lui la compréhension du Père et, connaissant le Créateur, vivre une vie satisfaite et vraiment heureuse. »[3] Il existe une différence ontologique fondamentale entre la créature et le Créateur – le créé et l’Incréé, entre celui qui est fait et Celui qui sans commencement, entre celui qui est limité et Celui qui est sans limite. La compréhension et la connaissance de Dieu par l'homme dépendaient de la foi, de l'obéissance au commandement donné et de la grâce. La vie authentique de l'homme telle que contemplée par Dieu, son Créateur, était depuis l'éternité sous l’autorité de la grâce divine reflétée dans ses paroles et ses actes. En s'en éloignant de Dieu, la vie, la compréhension et la connaissance de l'homme subissent une transformation qui limite sa relation avec Dieu, l'éloigne de Lui et altère sa compréhension de lui-même.
C'est pourquoi il était nécessaire que l'homme devienne participant à l'image de Dieu – notre Seigneur Jésus-Christ – qui allait le reconstruire et lui donner la possibilité de lui ressembler. Grâce à cela, l’homme obtiendrait la connaissance de Dieu le Père et de la vie éternelle.
Celui qui était le seul et le plus apte à parler de Dieu le Père, le connaissant depuis l’éternite, était le Fils : « Car d'aucune autre manière nous n'aurions pu apprendre les choses de Dieu, - dit St. Irénée de Lyon - si notre Seigneur, existant comme Verbe, ne s'était pas fait homme. Car aucun autre être n’avait le pouvoir de nous révéler les choses du Père, en dehors de Sa propre Parole. »[4] L’enseignement sur Dieu et Sa véritable connaissance et implicitement la véritable compréhension de la nature humaine ne pouvaient être découverts par personne d’autre que le Fils de Dieu. Il était le seul qui, étant éternellement né du Père et coexistant avec Lui et le Saint-Esprit. Donc, connaissant pleinement la divinité, en étant Dieu Lui-même, Il pouvait partager cette connaissance avec nous pour notre rédemption, notre guérison et notre salut. Les justes de l’Ancien Testament, les prophètes et les rois choisis par Dieu parlaient sous Son autorité, inspirés par Lui. Mais Celui qui allait confirmer tout ce qu’ils ont dit et allait accomplir tout ne pouvait être autre que le Fils de Dieu, notre Sauveur Jésus-Christ.
Le mystère de la naissance éternelle du Fils du Père ainsi que le mystère de l'incarnation du Seigneur Christ de la Vierge Marie dans le temps dépassent l'entendement et l'ordre de la nature : « Aujourd'hui, - dit St. Jean Chrysostome - Celui qui est né du Père au-dessus de l'entendement et de la parole, pour moi, Il est né de la Vierge, toujours au-dessus de l'entendement et de la parole. Puis Il est né du Père selon la nature depuis l'éternité, comme le sait Celui qui l'a engendré. Aujourd’hui, Il est né de nouveau en dépassant la naissance selon la nature humaine, comme le sait la grâce du Saint-Esprit. Véritablement de Dieu, Dieu est né, et véritablement pareil, de la Vierge, l'homme est né. En haut, le Seul et Unique né de Celui qui est sans commencement, en bas, le même Seul et Unique est né de la Vierge seulement. »[5] L'incarnation s'est faite en surmontant l'ordre de la nature humaine car elle était marquée par le péché et les passions héritées d'Adam.
St. Grégoire Palamas dit que l'incarnation s'est faite par le Fils de Dieu qui s’est revêtu de notre nature humaine pour montrer que le Créateur l'a faite, au départ, pure et sans passion. Le péché et les passions ont pris le contrôle de la nature de l'homme à cause de la tentation du malin, de la chute de l'homme et de son éloignement de Dieu : « Parce que, si le Verbe qui est toujours avec le Père ne s'était pas incarné dans l'homme, - dit St. Grégoire Palamas -, on aurait pensé que le péché existe par nature dans l'homme, car l'homme n'a jamais été sans péché; et il aurait pu arriver que la condamnation ait été transférée au Créateur, comme s'Il n'avait pas été un Créateur de bonnes choses (...) C'est pour cette raison que Dieu a pris la nature humaine, pour la montrer suffisamment sans péché et pure, afin qu'ils puisse s’unir à Lui par l'hypostase et demeurer avec Lui pour toujours. »[6] L'Incarnation montre la bonté de la création de Dieu, de notre monde et de la nature humaine. Cela confirme les paroles de l’Écriture et prouve l’œuvre inspirée du Saint-Esprit en elle.
L'incarnation de la Parole de Dieu a pour but de porter l'homme tombé sous l'influence des sens et de la matérialité vers l'Invisible, Son Créateur. La connaissance de Dieu par l'homme ne se fera pas seulement par des paroles mais par une participation directe à la Parole et au Fils de Dieu. Par l'incarnation, Il recréera cette unité donnée par Dieu à Adam au commencement et la surmontera même : « La nature est dépassée, la limite de la disposition humaine ordonnée par Dieu est aussi surmontée, là où Dieu le veut - dit St. Jean Chrysostome. ... Le Seul et Unique né, depuis l'éternité, l'Insaisissable, le sans péché, l'Incorporel, est entré dans mon corps visible et corruptible. Pour quoi? Pour être vu pour me montrer, et m'apprendre et conduire vers ce qui ne se voit pas. ... C'est pour cela qu'Il a enduré cela, afin que nous puissions Le voir dans la chair, afin qu'Il dissipe le doute. »[7] D’une manière indescriptible, Dieu, incompréhensible et incréé, s’unit à l’homme limité et crée. De la même manière indicible, dans cette union selon l'hypostase, l'homme est élevé à la dignité de fils par la grâce de Dieu. La nature de l'homme en Christ s’est revêtue de son éclat d'antan que les disciples ont entrevu sur le mont Thabor.
Grâce à l'incarnation du Fils de Dieu, notre nature acquiert une nouvelle vie et un nouvel entendement. Elle devient le temple du Fils de Dieu et participante selon l'hypostase à son œuvre rédemptrice pour l'homme : « C'est pourquoi Il prend mon corps, afin de faire place à sa Parole dans mon esprit - dit St. Jean Chrysostome. Il prend mon corps pour me donner son Esprit. Il me donne et me prend, pour me donner le trésor de la vie. Il prend mon corps pour me sanctifier. Il me donne son Esprit pour me sauver. »[8] L'incarnation du Fils de Dieu signifie la rédemption de notre nature humaine. L'esprit humain, éloigné par la tentation du mal, de la présence et de la contemplation de la Parole de Dieu, redevient le temple de cette présence et regarde le Verbe «face à face ». Il le fait comme le premier Adam. Le corps mortel reçoit le Saint-Esprit et devient porteur de la vie éternelle. D'un corps mortel, il devient un corps saint et sanctifiant. D'un corps dépourvu de souffle spirituel et voué à la mort, il devient un corps transfiguré qui participe au salut. La nature humaine tout entière est imprégnée – esprit, âme et corps – de l’œuvre rédemptrice de Dieu qui transfigure et sauve. L'homme se rapproche de la stature spirituelle pour laquelle il a été créé, c'est-à-dire l'image et la ressemblance de Dieu.
Chers frères et sœurs dans le Seigneur,
Que la fête de la Nativité soit une occasion de fortification et de bénédiction spirituelles, d'audace et de courage dans la prédication. Le Christ est venu et a habité parmi nous. Il vit encore maintenant par la grâce et par Son Corps et Son Sang auxquels nous participons dans la Sainte Liturgie.
L'année 2024 consacrée à la pastorale des malades et des saints anagyres a attiré notre attention sur ceux qui sont près de nous, avec des faiblesses et des incapacités, avec des besoins particuliers et des maladies, mais aussi vers ceux qui nous donnent du courage et nous inspirent dans ce travail visant à soulager la souffrance et à porter les fardeaux de ceux qui sont accablés. Les saints anagyres sont nos guides, notre inspiration et notre aide. Nous avons également particulièrement apprécié la canonisation des nouveaux saints martyrs et confesseurs roumains des prisons communistes. Certains d’entre eux, nos croyants, les ont rencontrés personnellement et ont reçu leur bénédiction. Quoi de plus extraordinaire que de vivre parmi les saints. Ils étaient et sont les saints de notre époque; ce sont les saints des générations qui nous ont élevés et transmis la foi en Dieu. De la même manière, et maintenant, il y a d’autres saints qui vivent parmi nous. Certains nous allons les connaître de notre vivant, d’autres seulement dans le Royaume de Dieu. Chaque saint est une image de Dieu, fils selon la grâce, Christ à l'échelle humaine. Chacun d'eux nous donne du courage et nous fortifie en nous montrant que l'Église et le Royaume des cieux ne sont pas loin de nous; ils sont juste à côté de nous et parmi nous.
Osons porter sur nos épaules ce que les saints ont porté: les difficultés de la vie, les souffrances causées par les adversaires, les persécutions de systèmes sociaux ou politiques impies et d'innombrables autres difficultés découlant des réalités corrompues de notre temps. Mais en même temps, montrons aussi la joie de la communion avec Dieu et Sa grâce, le courage de la confession, la clarté de la décision qui vient du discernement éclairé par l'œuvre de l'Esprit Saint, du long effort de prière, d'effort corporel et spirituel.
Vivons tout cela avec la joie, l'enthousiasme et la paix qui viennent de la célébration de la Nativité de Jésus-Christ. Elle nous montre la manière dont Dieu a trouvé le moyen de tout remettre dans l'ordre selon la nature humaine.
A l'occasion des célébrations de la Nativité, du Nouvel An et de l'Épiphanie, je vous adresse la salutation de St. Paul l’Apôtre: « Que la grâce soit avec vous tous ! Amen » (Hébreux 13, 25).
Une célébration de la Nativité dans la grâce et la joie !
Une nouvelle année bénie !
Fraternellement en humble prière au Christ Seigneur,
† IOAN CASIAN
Saint-Hubert/Montréal 2024
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[1] St. Jean Chrysostome. Sermons à l’occasion des fêtes royales et éloges aux saints. Maison d’Edition EIBMBOR, Bucarest 2006, p. 29
[2] St. Grégoire Palamas. Homélies (vol. I). Maison d’Edition Anastasia, Bucharest 2004, p. 221
[3] St. Athanase le Grand. Traité sur l'Incarnation du Verbe. Maison d’Edition EIBMO, Bucarest 2010, p. 152-154
[4] St. Irénée de Lyon. Contre les hérésies. Ex Fontibus, Jackson, MI, 2020, p. 508
[5] St. Jean Chrysostome. Homélies…, p. 25
[6] St. Grégoire Palamas. Homélies. p. 229-230
[7] St. Jean Chrysostome. Homélies …, p. 26
[8] Idem, p. 27